Thierry Bièvre, Elithis : « Nous prenons soin de construire des bâtiments qui peuvent avoir une deuxième vie »

Thierry Bièvre est le Président Fondateur du Groupe Immobilier Elithis qui accompagne les acteurs de la construction et de la rénovation du bâtiment en développant des solutions durables et innovantes. Particulièrement engagé en faveur de l’habitat durable et à énergie positive, il revient sur sa vision du logement de qualité de demain.

Les réalisations du Groupe Elithis sont régulièrement primées pour leur innovation en termes d’efficacité énergétique et environnementale. Quelle part consacrez-vous à l’innovation et à la R&D ?

J’ai créé ce groupe avec l’ambition de répondre aux grands défis du 21è siècle que sont le dérèglement climatique et la crise énergétique, et c’est avec l’intention de les relever que j’ai souhaité mettre l’innovation et la R&D au cœur de l’ADN d’Elithis, dès sa création en 2003.

Nous consacrons entre 3 et 5 % de notre budget annuel à la recherche et développement de manière à promouvoir l’énergie positive dans chacun de nos bâtiments qui, à terme, produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment. Selon moi, c’est un investissement que doivent s’imposer l’ensemble des acteurs du secteur de l’immobilier, et avant tout celui de l’ingénierie.

Notre politique en matière d’innovation se manifeste par différents items et notamment celui de « l’habitat bio » qui m’est très cher. L’habitat bio c’est un habitat transformable, qui peut changer d’affectation, qui est flexible. Si on veut réellement faire des économies, notamment énergétiques, on doit cesser de construire des bâtiments à vocation unique et qui ne peuvent pas facilement évoluer dans le temps, si ce n’est qu’à des coûts très importants.

Chez Elithis, nous prenons soin de construire des bâtiments qui peuvent avoir une deuxième vie, de nouveaux usages, usages classiques comme le tertiaire ou l’habitation, et d’autres plus émergents, comme par exemple, répondant aux attentes en matière de télétravail révélées par la crise sanitaire.

Quelles innovations vous permettent aujourd’hui de proposer des logements sans facture énergétique comme votre immeuble « Danube » à Strasbourg ?

On a très tôt mesuré l’enjeu de la hausse des prix de l’énergie sur notre secteur, liée à la raréfaction des énergies fossiles.

Pour cela, au-delà des innovations elles-mêmes, nous accordons la plus grande importance à la méthode, aux process qui nous permettent de développer ces technologies innovantes. Cela passe par le savoir-faire de nos équipes, toutes expertises confondues, mais aussi par les retours d’expériences sur le terrain. Notre premier bâtiment à énergie positive, c’est notre siège social à Dijon (livré en 2009) dont nous tirons toujours les enseignements pour progresser nous-mêmes et faire progresser nos clients.

Dans l’immeuble Danube, l’innovation est partout, mais c’est surtout un alliage de multiples innovations qui génère un bâtiment pérenne, durable, efficient et à un coût abordable.

Au-delà de l’expertise des architectes, des ingénieurs, etc., nous nous appuyons sur une méthode de coaching de l’ensemble des acteurs, et ce tout au long de l’acte de construire, depuis le lancement jusqu’à la livraison. On fait intervenir chaque acteur pour qu’il exprime son savoir-faire et son talent, et ce, loin du schéma traditionnel plutôt pyramidal, avec d’un côté les sachants et de l’autre ceux qui exécutent.

C’est une vision très sociologique que nous développons en interrogeant également les usagers potentiels pour connaître leurs attentes de manière à les intégrer dès la conception du projet. Finalement, on ne s’intéresse pas à « comment » on fait le bâtiment, mais « pour qui » et « pourquoi » on le fait.

Autre innovation : la conception bioclimatique. On essaye de créer un bâtiment qui puisse vivre presque sans énergie et qui utilise déjà ce qui est disponible gratuitement dans son environnement pour fonctionner de manière autonome, y compris en tirant parti de l’usage. Et pour cause, l’usage est fournisseur d’énergie comme peuvent l’être les éléments naturels (le vent, le soleil…). Pour cela, nous faisons des études de simulations thermiques dynamiques poussées mais qui demeurent sous l’œil du bon sens et qui permettent de donner des instructions précises aux architectes et aux constructeurs.

Ventilation hybride, récupération de chaleur, flexi-floor… autant de technologies et d’astuces que nous intégrons pour accroître la qualité d’usage.

Dernière innovation que je souhaitais évoquer : le coach numérique. Facilement accessible depuis un portable, il s’agit d’un outil de pilotage (domotique, chauffage, éclairage, température, ouvertures des brise-soleil…) qui permet de gérer et d’améliorer le confort du logement mais qui va plus loin ! En effet, cet outil utilise son intelligence artificielle et apprend de notre comportement, de manière à pouvoir donner des conseils pertinents sur la consommation énergétique, des pistes d’économie dans la gestion classique des flux d’énergie mais aussi l’utilisation des équipements, des médias… Nous mesurons grâce à cette application que nous dénommons ALADHUN des économies de l’ordre de 30 % sur les usages qui échappent aux obligations des concepteurs et constructeurs.

Considérez-vous que la certification est un moyen d’atteindre des performances hautes et des exigences de qualité dans la conception de vos projets ?

Dans ce domaine, nous sommes très exigeants avec nous-mêmes ! La norme est un outil indispensable qui nous aide à avancer, à innover et même à nous dépasser ! Pour moi, la norme ne doit pas être un objectif mais un prisme au travers duquel nous présentons l’ensemble des solutions imaginées pour satisfaire un résultat que nous voulons toujours supérieur à la certification.

D’un point de vue général, la certification permet de vérifier que les bâtiments répondent à chaque point de la réglementation en vigueur. Ce sont des repères indispensables.

Si la certification fixe des exigences de performance, elle ne doit pas conduire à une homogénéisation et standardisation des constructions. Nous pilotons des architectes très créatifs ; mettons cette créativité au service de l’innovation et utilisons la certification comme variable de correction et d’amélioration.

Au-delà des performances techniques de vos bâtiments, leur usage au quotidien est aussi un facteur essentiel de la sobriété énergétique. Comment sont accompagnés les usagers pour réaliser des économies d’énergie ?

C’est primordial pour moi de s’intéresser aux usagers d’un immeuble, d’un logement. Finalement, on s’intéresse moins au bâtiment lui-même qu’à l’usage qui en est fait. Je l’évoquais à l’instant avec l’outil de coach numérique que nous avons mis à disposition des usagers.

Le confort, la qualité de vie et la perception que l’on s’en fait sont aussi un moyen indirect de rendre du pouvoir d’achat. Je m’explique : plus on informe en amont correctement l’usager sur les enjeux énergétiques de son logement, moins on le culpabilise et plus on l’encourage à faire lui-même les économies pour son propre bénéfice. Il participe ainsi fortement à la performance du bâtiment. On a pu le mesurer à Strasbourg, au sein de l’immeuble Danube. On avait imaginé un résultat performant voire idéaliste, et en réalité on a 6 ménages sur 10 qui font mieux que ce que le modèle avait prévu !

Et nous sommes allés plus loin ! Nous avons même impliqué des anthropologues et imaginé un système qu’on appelle la « PrEUVE » : la Prime d’Encouragement aux Usages Vertueux de l’Energie. Elle permet de récompenser les meilleurs usagers, ceux qui affichent des performances qui vont au-delà du modèle. Ainsi, ils reçoivent un complément de revenu versé en monnaie locale citoyenne qui peut représenter l’équivalent de 90 à 145 euros !

Face au défi de la zéro artificialisation des sols et à la demande croissante de logements, quel regard portez-vous sur la densité ? Votre projet de tour de 15 étages à énergie positive à l’entrée de la métropole de Nancy est-elle la meilleure réponse ?

Une bonne gestion des sols, c’est de parvenir à glisser 60 logements sur un espace de pavillon de faubourg ! On a besoin pour cela d’environ 250 mètres carrés au sol, c’est-à-dire 4 ou 5 fois moins que dans les empreintes urbaines classiques. C’est évidemment une option à considérer quand cela est possible.

Il ne faut pas le faire partout bien sûr, mais quand il y a de la concentration de mobilités douces, c’est intéressant de créer de la densité, densité qui n’est pas incompatible avec une bonne qualité de vie.

Dans une tour, nous avons l’horizon comme jardin ! Cela s’avère très agréable !

Je milite pour une pluralité de formes urbaines, qui intègre des tours écologiques et qui permet une grande mixité sociale en faisant cohabiter séniors, étudiants, actifs, etc. De belles tours bien sûr, pas des barres mal desservies, image qui reste dans l’inconscient collectif français et conduit à rejeter cette forme urbaine alors qu’elle est plébiscitée dans d’autres pays d’ailleurs. La tour peut aussi être un repère, un phare dans la ville comme l’étaient autrefois les anciens beffrois.

À Bordeaux, vous avez déposé un permis de construire sans affectation. Pouvez-vous nous expliquer l’intérêt de ce dispositif créé par la loi CPA en 2016 puis élargi par la loi ELAN en 2018 ?

Le législateur nous demande de réduire notre empreinte carbone et l’on continue à produire des bâtiments à usage unique, ou alors très chers à restructurer si l’on veut en changer l’usage ; ce n’est pas cohérent.

Pour moi, le meilleur indicateur écologique c’est la durée de vie du bâtiment, cette durée qui libère l’imaginaire et la capacité d’y envisager de nouvelles activités.

C’est pour cela que cet appel à manifestation d’intérêt nous a séduits : en collaboration avec Patrick Rubin, architecte à Paris, nous avons déposé le premier permis d’innover sur un bâtiment sans affectation. Nous avons obtenu un premier accord de principe et retravaillons le système de sécurité incendie, dispositif complexe et justement intimement lié aux différentes destinations possibles du bâtiment, et dont l’impact est non négligeable sur la réversibilité des usages. Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, ce bâtiment peut être, soit des bureaux, soit du logement, à n’importe quel moment et sans que les changements d’usage soient très coûteux à la fois financièrement et en bilan carbone.

Vous avez lancé en partenariat avec Catella, le premier fonds résidentiel à impact « à énergie positive » au monde. Considérez-vous que demain, tous les logements devront répondre à cette ambition ?

Le slogan d’Elithis c’est « rendre l’énergie positive accessible à tous ». Le partenariat avec Catella est la première brique de cette ambition.

Je le disais en préambule, pour innover, il faut investir. Cela représente pour nous 2 milliards d’investissement en 10 ans, investissement qui permettra à terme d’industrialiser et donc de démocratiser ce type de bâtiment à énergie positive. Ce fonds va permettre de financer pas moins de 6000 logements, pas uniquement privés.

Nous avons commencé à déployer notre méthode et nos innovations dans le parc social. Par exemple à Dijon, à côté d’une tour à énergie positive livrée fin mars prochain, nous réalisons 56 logements BEPOS (Bâtiment à énergie positive) à un prix compétitif sans surcoût ni subvention complémentaire pour le bailleur.

Nous faisons aussi le pari de produire de l’énergie au sein des bâtiments eux-mêmes, plutôt que de chercher à l’importer. La crise énergétique nous y oblige et c’est une bonne chose. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi la RE2020 n’a pas intégré le Building Integrated Photovoltaics (BIVP), c’est-à-dire le photovoltaïque intégré aux bâtiments dans son cahier des charges, alors que c’est possible ! Il faut que les pouvoirs publics s’en saisissent ! Ou mieux, il faut concevoir des bâtiments vertueux par eux-mêmes, ce qui évitera de gaspiller des équipements photovoltaïques, ce qui en plus n’est pas toujours évident sur une tour qui dispose de peu de surface pour cela.

Un nouvel habitat, bio, est possible ; sa généralisation permettra sans nul doute de répondre aux grands enjeux climatiques et énergétiques auxquels nous devons collectivement répondre.

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