Vous êtes Président du Comité NF Habitat depuis plusieurs années. Quel regard portez-vous sur l’évolution de la certification au cours de cette dernière décennie ?
Je préside en effet le comité depuis sa création. Depuis 2015, j’ai pu voir l’évolution de la certification pour refléter les transformations profondes liées :
- aux préoccupations environnementales ;
- à la performance énergétique ;
- aux attentes croissantes des acteurs du marché.
L’un des aspects les plus marquants a été la montée en puissance des normes environnementales en réponse au changement climatique et aux politiques publiques.
Alors que la Réglementation Environnementale 2020 a introduit une approche plus globale, intégrant non seulement la performance énergétique, mais aussi l’ensemble du cycle de vie du bâtiment, la certification NF Habitat HQE est devenue une référence qui valorise les bâtiments à faible impact et à haute qualité environnementale. Elle a aussi engagé son alignement avec les directives européennes, telles que la taxonomie.
Mais l’évolution de la certification ne s’est pas limitée à la seule performance énergétique. Elle intègre d’autres préoccupations essentielles, telles que :
- la qualité acoustique ;
- la ventilation ;
- les espaces extérieurs ;
- ou encore les attentes nouvelles nées de la période post-Covid, notamment en matière d’espaces partagés et de nouveaux usages.
Ces éléments traduisent une exigence croissante de qualité de vie, qui ne se réduit pas aux seuls critères techniques ou environnementaux.
Les préoccupations liées à l’évolution des usages des bâtiments sont ainsi pleinement prises en compte dans l’évolution de la certification. À ce sujet, un groupe de travail piloté par Cerqual planche actuellement sur l’évolutivité des logements.
Cette évolutivité interroge notamment notre capacité à transformer les bâtiments au fil du temps :
- comment faire d’un immeuble de bureaux un immeuble de logements ?
- comment anticiper les évolutions démographiques ?
Prenons l’exemple des logements étudiants. Aujourd’hui très demandés, ils le seront peut-être beaucoup moins dans vingt ou trente ans. D’où la nécessité d’imaginer dès aujourd’hui leur possible reconversion en logements familiaux.
Et dans cette logique d’anticipation, l’enjeu du vieillissement de la population est également intégré. C’est un sujet intimement lié à celui de l’accessibilité. Tous les seniors ne sont pas en situation de handicap, mais beaucoup rencontrent, avec le temps, des problématiques qui relèvent de l’accessibilité. Concevoir des logements adaptés dès aujourd’hui, c’est aussi répondre aux besoins de demain.
Le référentiel y veille, même si cela soulève des arbitrages : il est difficile pour un promoteur de rendre tous les logements accessibles à 100 %. Ce que le référentiel défend, c’est une vision qui voit dans l’accessibilité non seulement une réponse aux handicaps, mais aussi un levier de confort universel.Enfin, la digitalisation a également profondément transformé les processus de certification : l’exploitation des maquettes BIM pour faciliter l’intégration des critères de certification et le recours aux plateformes de gestion pour permettre un meilleur suivi des engagements sont devenus des leviers indispensables d’efficacité et d’objectivité dans l’évaluation de la qualité des logements.
Le Comité NF Habitat réunit un large panel d’acteurs du logement. Comment cette gouvernance collective contribue-t-elle à faire évoluer la certification au plus près des besoins des usagers et des professionnels ?
Cette gouvernance collective joue un rôle important dans l’évolution des différents profils de certification, en permettant une meilleure prise en compte des besoins réels des usagers (propriétaires, locataires) et des professionnels (promoteurs, architectes, collectivités, artisans, investisseurs, etc.). Cette approche collaborative permet de créer des profils plus pertinents, soutenables et adaptés aux évolutions du secteur.
Le comité rassemble une grande diversité de parties prenantes : maîtres d’ouvrage, bailleurs institutionnels promoteurs, fédérations professionnelles, mais aussi représentants des locataires.
Ces échanges sont très riches. Cerqual nous fait régulièrement remonter des retours du terrain, notamment issus de l’instruction des dossiers. Cela permet de confronter les référentiels aux réalités concrètes.
Prenons l’exemple de l’acoustique : des questions techniques sont souvent soulevées sur la capacité des matériaux à répondre aux exigences. Cela fait l’objet de débats au sein du comité, qui peuvent aboutir à des assouplissements ou, au contraire, au maintien de certaines exigences.
La co-construction des référentiels est le gage d’une meilleure adéquation aux réalités du terrain. Elle permet une mise à jour plus réactive des certifications, car les retours d’expérience des acteurs (bureaux d’études, gestionnaires, habitants) alimentent le cycle d’amélioration continue.
Enfin, ce portage collectif renforce la légitimité et l’acceptabilité de la certification.
La certification repose sur un équilibre entre trois éléments fondamentaux :
- la réglementation ;
- les réalités de mise en œuvre sur le terrain ;
- l’ambition portée collectivement pour améliorer la qualité du logement.
Cet équilibre permet d’adapter certaines exigences lorsque c’est nécessaire, tout en maintenant un haut niveau de performance sur les points essentiels, comme l’environnement ou la qualité d’usage.
Vous êtes par ailleurs le Directeur de la Mission décarbonation du Groupe CDC Habitat. Quels sont, selon vous, les prochains grands enjeux en matière de performance énergétique et environnementale des logements ?
CDC Habitat est une filiale de la Caisse des Dépôts, et à ce titre, un acteur immobilier d’intérêt général. Le groupe gère aujourd’hui plus de 560 000 logements sur l’ensemble du territoire français, dont 366 000 logements sociaux. Cela couvre un très large spectre : de l’hébergement d’urgence avec Adoma, au logement social via CDC Habitat Social, jusqu’au logement intermédiaire et libre.
Cette organisation nous permet de répondre à des besoins variés, sur l’ensemble du territoire, y compris en Outre-mer, où nous gérons plus de 99 000 logements.
Nous sommes pleinement engagés dans la Stratégie Nationale Bas-Carbone. Nous avons ainsi fixé un objectif intermédiaire à 2030 : atteindre une valeur d’émission moyenne inférieure à 15 kg de CO₂/m²/an pour le parc de logement familial. En ligne de mire : contribuer à la neutralité carbone d’ici 2050. Ce plan climat, structuré autour d’une mission dédiée à la décarbonation, traduit l’engagement fort du groupe.
Notre action s’appuie à ce titre sur un partenariat de long terme avec Qualitel. Dès 2008, nous avons engagé une collaboration autour des enjeux de sécurité des logements : prévention des risques de chute, sécurité électrique et gaz.
Progressivement, ce partenariat s’est enrichi pour inclure des dimensions plus globales, telles que la qualité environnementale. Aujourd’hui, il constitue un socle commun pour accompagner notre démarche de qualité et d’innovation au service des habitants.
Comment la certification NF Habitat accompagne-t-elle aujourd’hui les objectifs de neutralité carbone dans le secteur résidentiel et quel rôle peut-elle jouer demain pour favoriser la massification de la rénovation énergétique à grande échelle ?
Il est vrai que, dans le contexte actuel où le coût du logement est un sujet particulièrement sensible, la question des éventuels surcoûts liés à la certification peut susciter des interrogations. Pourtant, à l’échelle d’une opération, le coût de la certification NF Habitat reste marginal. En période de tensions économiques, certains arbitrages sont inévitables, mais pour nous, la certification demeure un levier stratégique.
Pourquoi ? Parce qu’elle permet d’introduire de la cohérence, de la méthode et des repères partagés dans un écosystème complexe, fait d’acteurs multiples, d’exigences diverses et de contraintes locales. Pour un groupe comme CDC Habitat, qui intervient sur l’ensemble du territoire national avec plus de 10 000 collaborateurs, disposer d’un cadre commun est tout simplement indispensable.
La certification contribue à ce cadre. Elle clarifie les attentes et sécurise les pratiques. Elle permet également de rendre compte, car il ne suffit plus aujourd’hui d’agir, il faut aussi pouvoir justifier, démontrer, objectiver.
Dans cette logique, CERQUAL a par exemple développé un profil d’alignement avec la taxonomie européenne, qui permet aux maîtres d’ouvrage concernés de simplifier leur reporting réglementaire. Ce type de dispositif est typique de ce que la certification peut apporter :
- une meilleure lisibilité ;
- un allègement administratif ;
- une économie de moyens à moyen et long terme.
En réalité, la certification peut être un accélérateur de massification. Elle facilite la reproductibilité des démarches et leur diffusion à grande échelle. Elle favorise la montée en compétence collective et la convergence vers des standards de qualité mieux maîtrisés. Autant de facteurs qui, à terme, peuvent se traduire par une meilleure efficacité.
En 10 ans, NF Habitat a déjà bien évolué. Quelles pistes d’amélioration ou d’évolution imaginez-vous pour les années à venir ?
Du point de vue de la certification, il ne s’agit plus simplement de livrer un logement conforme sur le plan réglementaire. L’enjeu aujourd’hui, c’est d’assurer, dans la durée, la qualité réelle d’usage du bâti, en tenant compte des pratiques quotidiennes des occupants et de l’évolution des modes de vie.
C’est pourquoi la certification NF Habitat intègre désormais une dimension de suivi dans le temps, en lien avec les gestionnaires. L’avenir sera de ne plus se limiter aux calculs conventionnels basés sur des scénarios théoriques, mais de croiser ces données normées avec les performances réelles, mesurées en exploitation, notamment en matière de consommation énergétique et d’usage des équipements. Grâce à l’instrumentation croissante des bâtiments, il devient possible de mieux comprendre les écarts entre la performance attendue et les usages concrets. Cette capacité à confronter la théorie à la réalité permet d’enrichir les référentiels et d’affiner les prescriptions futures.
La digitalisation de la certification s’inscrit pleinement dans cette évolution. Elle repose aujourd’hui sur deux axes principaux.
Le premier concerne le processus d’instruction même des dossiers. Les échanges entre Cerqual, les maîtres d’ouvrage, les architectes ou les bureaux d’études sont de plus en plus dématérialisés. L’usage de la maquette numérique (BIM) facilite à la fois la lisibilité des projets et l’évaluation des critères de certification. Même si son utilisation reste encore inégale selon la taille des opérations, la dynamique est enclenchée.
Le second axe touche à l’exploitation des données. Cerqual capitalise sur l’ensemble des informations collectées lors des audits pour produire :
- des retours d’expérience ;
- des indicateurs de performance ;
- des analyses de tendance.
Cela se concrétise à travers des observatoires, des plateformes collaboratives ou encore l’exploitation de données réglementaires comme celles issues de la RE 2020.
L’objectif est clair : offrir aux maîtres d’ouvrage des outils concrets pour mieux piloter la qualité du bâti et favoriser une amélioration continue des pratiques.
Cette digitalisation ne représente pas seulement un progrès technique ; elle est un levier stratégique pour fiabiliser les démarches, fluidifier les échanges et renforcer la transparence. À terme, elle participera aussi à réduire les coûts liés à la certification tout en augmentant sa valeur ajoutée pour l’ensemble des acteurs.